Mon objectif de l'année 2012 est enfin arrivé. je vais vous décrire , non pas ma course ou plutôt ma cyclosportive, mais
mon ressenti, mes joies, mes peines, mes souffrances, le sang , la sueur, les pleurs...
Mais avant je vais tout simplement vous donner quelques chiffres pour vous montrer le coté dantesque de cette étape de légende.
Distance 152 km. Elle peut paraître courte, mais il n'y a quasiment pas de plat: 72 km de montée, 30 km de plat et donc 50
km de descente.
Temps réel pour parcourir cette étape : 10h18
Temps passé sur la selle: 9h38
Temps passé à monter les cols 7h17
Temps des 8 poses pour ravitaillement solide et liquide et besoins: 30 minutes
Dénivelé fait: 4795m
Quantité de liquide absorbé: 7 litres soit 14 bidons environ.
Ces quelques données me donnent le tournis.
Vendredi 7 juillet, Antoine vient me chercher à la maison , pour nous rendre à La Clusaz qui sera notre lieu de vie pendant
ces 3 jours.
Après un parcours plutôt paisible, nous arrivons à la montagne vers 17h30, il pleut un peu. Pendant tout le parcours je
découvre Antoine, il est doux, posé d'une gentillesse extrême , J'aime à discuter avec lui. Il a une connaissance du cyclisme importante. De plus on sent une force intérieure en lui qui permet
d'aborder ce genre d'épreuve avec sérénité. Il me rassure régulièrement.
Samedi matin, nous vérifions notre matériel, nos tenues. Je demande conseil à Antoine, sur la façon de s'habiller. En effet le temps s'est nettement
amélioré, il fait soleil et chaud.
Après un déjeuner , nous nous rendons à Albertville, pour récupérer notre dossard et attendre Rémi qui doit venir dormir
avec nous à La Clusaz.
Venant de Marseille, il arrive vers 16h30, en attendant Antoine rencontre le journaliste de Vélomag. je n'en dis pas plus;
cela sera la surprise.
Nous devons remplir la fiche sanitaire avec les personnes à prévenir en cas de souci. Je ne me sens pas très bien, même
Antoine voit que je pâlis, il me rassure toujours.
Nous retournons donc à la Clusaz et avant de manger, nous montons tranquillement le col des Aravis, pour nous détendre et décompresser . C'est une bonne idée en fait. Et voilà 3 twittcyclos ensemble c'est
magique. Rémi est trés jovial. Le courant passe tout de suite. Il ne manque pas de charme et je le sens trés motivé.
Dimanche matin, nous nous levons à 4h50, je n'ai quasiment pas dormi de la nuit, j'ai fait le parcours que j'ai appris par
coeur: distance, dénivelé, noms des villages traversés.
Nous arrivons à 6h15 sur place, je suis hyper stressé, je dois aller encore aux toilettes et tout est fermé à cette heure.
Je m'éloigne le long d'une haie, mais je ne suis pas le seul.
Il pleut, mais la météo annonce une amélioration dans la matinée: heureusement, il va même faire chaud dans la
journée.
Nous nous rendons au départ chacun dans son sas: Antoine le 1 Rémi le 3 et moi le 5: j'ai le dossard 5304. Je fais une
seule photo avec mon portable de toute la journée la voici.
Le premier sas s'élance à 7h05, je suis complètement paniqué, je suis seul , je ne connais personne autour de moi.
Mais je me dis que je ne vais pas abandonner à 15 minutes du départ.
Les sas s'ouvrent un à un. enfin le sas 5, on égrène le compte à rebours, mon coeur bat à 130 bpm. C'est parti pour un
grand tour.
Les premiers kilomètres sont quand même surprenant, des bidons déjà à terre . Comment vont ils faire l'étape sans
bidon ? Et puis je me dis que ce n'est pas mon souci.
Au bout de quelques km, un cycliste de Crèvecoeur me double, on se salue et cela me rassure. Je prends donc la décision de
le suivre et nous remontons de nombreux cyclistes.
Au bout de 20 km, nous abordons les premières pentes du col de la Madeleine. Malgré la présence de milliers de cyclistes,
je monte à mon rythme, je ne calque pas mon allure sur d'autres concurrents, je suis doublé, je double; certains plusieurs fois. En fin de compte je suis seul, je ne parle quasiment pas, je fais
des signes aux spectateurs qui nous encouragent.
Je saute le premier ravitaillement, arrivé en haut je m'arrête au ravitaillement liquide pour surtout faire un petit
"pipi" et je fais la même erreur que de nombreux cyclistes, j'oublie de franchir la ligne électronique pour mesurer mon temps de montée. Je repars après 5 minutes d'arrêt et j'effectue une
belle descente. Je double de nombreux cyclistes et je suis trés peu doublé. Je suis alors trés content. Mon stage de mai avec le club m'a servi.
Arrivé en bas le soleil brille nettement plus et la chaleur commence à venir. Je fais donc le ravitaillement liquide et
solide. je ne traîne pas , j'ai hâte de faire le col du Glandon.
Sur les 10 km de plat, je chope un groupe et je suce les roues, nous avançons à bonne allure.
Le début du col du Glandon est déjà plus difficile, je suis plus souvent doublé que je ne double. Je maintiens un
rythme constant, jusqu' à Saint Colomban où je fais un ravitaillement liquide.
La suite devient inimaginable. la fin du col du Glandon est dure, la pente s'accentue 9, 10 , 11, 12 % . C'est infernal, le
vent monte et lorsque nous l'avons de face c'est inhumain. Les cyclistes mettent pied à terre , je zigzague sur la route pour atténuer la pente, j'ai encore l'esprit clair. J'ai mal partout, aux
jambes, aux bras à force de tirer le guidon. je vois des cyclistes vomir, s'étaler sur le bas coté, s'arrêter même sur des parties pentues où ils ne pourront pas repartir. Je reste dans ma
bulle, je n'arrête pas de me dire "tiens encore un lacet Guy" Soit plus fort" Je ne lâche rien. Les 3 derniers km sont hallucinants. Une file quasi continue de cyclistes à pied se forme. Le vent
est quasi tempétueux. c'est là que tout se joue.
Je commence à gamberger , je mets 30 minutes pour les faire . C'est une éternité. Je dois vaincre ce col, il ne me
battra pas . J'y laisse une énergie folle mais je réussis à le vaincre au prix d'une souffrance extrême. Les 3 derniers km de la montée vers la Croix de Fer sont plus faciles et j'ai le vent dans
le dos
J'ai l'esprit encore suffisamment clair pour vérifier que je passe la ligne électronique avant le ravitaillement.
Mais je n'arrive plus à avaler des aliments sucrés, je me jette sur les TUC et je remplis la poche centrale de mon coupe
vent.
C'est la descente , je la fais prudemment. Je me détends plutôt dans la deuxième partie , je retrouve quelques sensations
que j'avais eu dans la descente de la Madeleine.
Arrivé à la bifurcation vers le col du Mollard, je m'arrête pour enlever mon coupe vent et je mange le reste des TUC, je
n'arrive plus à manger sucré. J'en ai la nausée. Je bois encore beaucoup et je repars.
Et la patatra , je craque . Bien que le col ne soit pas trop long et trop pentu, je suis anéanti. J'avance au ralenti. La
chaleur est présente prés de 32 °C. J'attrape mal au pied gauche , il me brûle . A chaque coup de pédale, j'ai l'impression que l'on enfonce un clou au marteau dans la plante, c'est
horrible.
Je souffre de partout, mon dos me fait mal, j'ai des échauffements mal placés pour un cycliste, mon bras gauche est
douloureux. Je continue sans m'arrêter en me disant "Guy tu es foutu", tu n'arriveras jamais au but". De plus je sais que la descente est technique. Que va t'il se passer?
Je monte comme un robot sans regarder au loin. je suis dans un état d'hypnose. Mais je ne lâche pas . Avoir fait tant de
parcours et abandonner ! Il n'en est pas question. Je suis le plus fort. Mais je suis doublé par de trés nombreux cyclistes.
Un petit arrêt au ravitaillement liquide et je repars. La lucidité revient, je descends plutôt bien , je mouline bien ,
j'arrive même à relancer à la sortie des virages alors que d'autres se laissent mener par la pente.
Le dernier ravitaillement à Saint Jean est vite passé, je complète les bidons , je mange encore des TUC et des pommes mais
plus de sucre.
Il reste 18 km il est déjà 15h30. Encore 2 heures de souffrance. la température monte encore sur cette longue ligne droite
à 9 % sur 4 km en plein soleil. Il fait 36°C. Je bois, je transpire tellement que j'ai l'impression qu'il pleut . Mes yeux sont brulés par la transpiration, je ne m'essuie plus car mes mains ,
mes gants et mes manchettes retroussées sont trempés. Ca ne me fait plus rien. Mon pied gauche celui qui est comme par hasard du coté du soleil chauffe et me fait très mal. Chaque mouvement me
fait souffrir. Je passe au dessus de cette souffrance, je suis encore comme hypnotisé.
Je m'arrête encore dont une pause très courte devant une mairie je suppose celle de Villarembert. Mais je ne sais
plus.
Je passe devant Le Corbier, quelqu'un me crie qu'il reste 500m puis un replat et une pente douce jusqu'au bout.
J'aperçois la flamme rouge , je rentre dans La Toussuire. Les derniers 500m n'existent plus , je passe la ligne et en
m'engageant dans le couloir pour recevoir mon ticket repas et ma médaille, je m'effondre et éclate en sanglots . Je pleure de souffrance et de joie mélangées . Cela dure bien 1/2h , j'ai la force
de faire mon premier tweet annonçant que je suis arrivé et que j'ai pleuré de souffrance et de joie.
J'ai réussi , je suis très fier.
Je ferai la conclusion de cet article un peu plus tard.